New Year Reggae Party
Publié le 16 Jan 2024 par Charles Loco
J’habite dans un quartier tranquille de l’est de Montréal. J’arrive à peine, ça fait quelques mois. Les différentes vagues de gentrifications et la pandémie sont venues exacerber le prix et l’accessibilité des loyers partout au Québec. Les propriétaires ont surutilisé les réno-victions et ont volontairement gardé vierge la section G des baux sur le prix que payait l’ancien locataire – d’ailleurs, votre propriétaire avait jusqu’au 31 décembre pour annoncer une reprise de logement. Première bonne nouvelle de l’année si vous n’avez pas reçu de lettre de reprise. Contactez le comité logement de votre ville ou quartier pour plus d’informations – avec la complicité d’une CAQ qui a tardé à reconnaître l’existence de la crise du logement, et d’une ministre de l’habitation qui méprise les locataires en présentant un projet de loi 31 qui vient arracher la cession de bail des droits des locataires. Sous prétexte que « ça donne trop de pouvoirs aux locataires », selon la ministre Duranceau.
C’est ainsi que bon nombre de personnes ont dû abandonner les quartiers centraux pour rejoindre un quartier populaire. Ils vont dans des quartiers ou des villes avoisinant les ports et les usines, parce que plus abordables. Et c’est ainsi qu’on perd dix ans d’espérance de vie. Ça doit être pour ça que les classes ouvrières ont souvent le cœur à la fête. On n’a pas le luxe de perdre une minute de plaisir.
Alors, quoi de mieux que de faire partie de la vie de communauté de son quartier ? Dès lors, une soirée dub et reggae québécois s’est imposée d’elle-même : New Year Reggae Party. Le reggae se passe de présentation. Pour les non-initiés, voici un article pour découvrir le dub. Ça prenait quelque chose de chaud et de rassembleur pour se réchauffer de la froideur accumulée de l’éternité des jours de grève, contre un gouvernement à bâillon, paternaliste, antidémocratique et électoraliste.

Le plus récent album de La Vie, produit par AD MARE, a vraiment de quoi réchauffer l’intérieur, avec des phrases comme : « Les temps sont durs et la tension monte […] c’est tough de briller quand tu restes dans l’ombre […] chaque jour le même refrain, y’a rien qui change […] now is the time de faire quelque chose ». Une musique et des textes sans prétention. Tantôt avec des textes engagés, où il parle de sa réalité de classe. Comme tout est dans tout, ce sont les gars d’Okapi derrière le label Reggae, qui sont aussi de la soirée. Ils étaient supposés être la tête d’affiche, mais à pied levé, ils ont suggéré à Sentaï Dub Attack de l’être, étant donné qu’ils étaient en formule « full band » à contrario du duo. C’est très chic de leur part !
Du côté de Sentaï Dub Attack, ils ont un son unique, avec des racines Mexico-Autochtone. Leurs textes sont plutôt spirituels et écologiques. Je n’ai pas la prétention de savoir parler ou lire l’espagnol. Je connais seulement les gars de Sentaï. Le DJ, Mau, fait partie du Verdun Crew, un club sélect composé d’artistes, de syndicalistes, d’intellectuels et d’ivrognes en tout genre. Parce qu’avec dix ans d’espérance de vie en moins, on n’a pas le temps pour la retenue.

C’est dans une petite salle comble de Mercier-Est, ou « Tétreaultville » pour les intimes, que la soirée débute. La foule est composée de plusieurs personnes issues des quartiers populaires de Montréal. C’est La Vie qui a fait le coup d’envoi, avec son attitude chill d’Hochelaga qu’on lui connaît. La Vie est un maître looper. Il monte ses beats live tout en chantant et en jouant du clavier ou de la guitare. Ça paraît qu’il a de l’expérience. D’ailleurs, la veille, il jouait avec son groupe hommage à Limp Bizkit « Pimp Bizkit » au mythique Foufoune Électrique. On a eu droit à deux belles surprises. Alex Paquette étant parmi le public, est venu chanter Verdun Hochelaga Connection. On a aussi eu droit à une impro avec un des gars des Anticipateurs qui parlait de poudreuse. La tempête s’est invitée à la soirée. Elle progresse au rythme de la soirée. Plus la foule danse, plus il neige, dehors.
C’est avec une aisance décomplexée qu’Okapi prennent d’assaut la scène. Ils se promènent à travers la foule en chantant leur reggae et leur rap à la sonorité plutôt électro. Ils ont pris la foule dans leurs mains et l’ont emmenée là où ils voulaient. C’était quand même impressionnant à voir. Les chansons se suivent et coulent à flots, tout comme l’alcool. Les employées de la salle ont dû, à plusieurs reprises, aller acheter plus de bière, parce que la foule a tout vidé leur stock. Malgré la soirée reggae, il n’y avait pas ou peu d’odeur de cannabis. Il ne faut pas se fier aux apparences, c’est l’election populi.
Quand Sentaï prend la scène, la tempête est à son paroxysme. Le son habite la salle, il était fait pour eux. C’était grandiose ! C’est venu nous chercher dans le torse, jusque dans nos trippes. Sentaï Dub Attack ont un son unique. Les membres sont issus des scènes punk, hardcore, Oï! et latinos. Les scènes ne sont jamais bien hermétiques une à l’autre. La touche d’Amérique-Latine vient teinter leur son et leur texte. Ce sont des textes inspirés par les mythes des peuples qui ont peuplé leur imaginaire, l’écologie et leur spiritualité. C’est en formule « full band » avec : cuivre, bass, drum, DJ et guitare qu’ils ont performé. C’était vraiment le clou du spectacle. La foule en a redemandé à deux reprises ! La voix unique du chanteur et batteur a un grain qui se marie parfaitement bien à la musique. Les downs beats viennent marquer les chansons, comme un breakdown, dans le hardcore.
Le spectacle terminé, les rues enneigées, le regard embrouillé. Les gens regagnent leurs quartiers populaires pour retrouver leur logement trop cher. Se loger ce n’est pas un luxe, c’est un droit. La foule aura au moins eu du bonheur plein le corps. La nouvelle année a commencé du bon pied. Parce qu’à défaut d’avoir un gouvernement qui a du bon sens, on aura au moins eu du fun. Y’aura toujours ben ça de gagné.
Rédaction: Charles Loco
Correction: Val Girard
Révision : Marie-Eve Landry