1-2, 1-2, check, check… Fuck Stablex
Publié le 12 Août 2025 par Claudia Bo
Samedi après-midi. Chaleur écrasante, comme on en a pris l’habitude cet été. Le soleil brille, rare éclaircie dans une saison étouffée par les épisodes de smog. Le ciel lui-même semble incapable de s’habituer à cette suffocation. On ne compte plus les jours où la grande région de Montréal s’est hissée au triste rang de « pire qualité » de l’air au monde. Pour plusieurs, respirer est devenu… immonde.
Pour les climatosceptiques, c’est un été comme un autre. Pas pire que l’an passé, ni que celui d’avant. Et pourtant…

Depuis quelque temps, une ombre traverse ma cour, invisible mais bien réelle : le projet d’agrandissement de Stablex à Blainville. Officiellement, l’entreprise « gère des déchets inorganiques ». C’est vrai que ça sonne mieux que « déchets chimiques », mais la vérité est moins reluisante : Stablex veut s’approprier 67 hectares, dont neuf hectares de milieux humides et 58 hectares de forêt, au cœur de la Grande tourbière de Blainville, l’un des rares complexes de milieux humides métropolitains encore largement intacts. Ce joyau écologique se trouve à trois kilomètres de chez moi, tout près d’un sentier où je me promène souvent avec mes enfants.
Et que veut-on enfouir là ? Sols contaminés, amiante, poussières de fours (acier, zinc, plomb), piles, batteries… et la liste continue. Des déchets d’ici, mais aussi des États-Unis.
Le gouvernement, lui, a tranché avec la Loi 93 : adoptée sous bâillon le 27 mars 2025, elle force Blainville à céder ce terrain municipal à Stablex, contournant le refus de la ville et les protections environnementales régionales. Elle prolonge aussi les activités d’enfouissement jusqu’en 2065. Contestée par Blainville et la communauté métropolitaine de Montréal, jugée abusive et écologiquement catastrophique, la loi a pourtant été confirmée par la Cour d’appel.



Samedi après-midi. Toujours cette chaleur. Guhn Twei, perché sur le toit d’un cube aux couleurs des bleus, entame le show : 1-2, 1-2, check check, Fuck Stablex. Simon Turcotte, le leader de ce groupe du nord au métal tranchant, attaque le premier set. Ce n’est pas mon style de musique habituel, mais ces temps-ci, leurs riffs lourds et leurs paroles rageuses me tiennent lieu de catharsis. Plantée là, boulevard Industriel à Blainville, je me laisse bercer par cette fureur.
Ce que j’admire surtout, c’est leur courage. Dénoncer haut et fort ce que tant murmurent du bout des lèvres. Dans d’autres pays, un groupe pareil finirait en prison — ou tabassé — pour oser pointer le gouvernement et les entreprises. Eux, fiers et intègres, avancent malgré la culture de la peur.
Guhn Twei sait de quoi il parle : en Abitibi (Rouyn-Noranda), la Fonderie Horne (Glencore) continue de polluer année après année, impunément. Rien de normal à ce que la main qui met du pain sur ta table soit la même qui t’empoisonne à petit feu. Du pain naît la force, et du même pain, la mort.
Et c’est là qu’ils frappent : ces entreprises qui dérangent et inquiètent sont aussi les poumons économiques de nombreuses villes. Comme ma propre ville natale, Sept-Îles. Je me souviens de l’eau jaune-brun de mon enfance. À l’époque, personne ne parlait vraiment d’écoresponsabilité. Aujourd’hui, les projets polluants s’accumulent : Mine Arnaud, Métaux Torngat, Strange Lake, agrandissement du LET, déversement de mazout dans la baie… Pas étonnant que l’Institut nordique de recherche en environnement et santé au travail commence à s’intéresser aux conséquences dans la baie.
Assis au bord du quai, on peut admirer la beauté du paysage… sur fond de cheminées crachant dans le ciel, l’aluminerie Alouette classée 3ᵉ usine la plus polluante du Québec. Mais ça, quand tu lances ta ligne à l’eau, personne n’en parle.
En écrivant, je réalise que ce texte n’est pas seulement sur Guhn Twei. C’est une introspection. Une piqûre de rappel pour ne pas oublier, depuis mon petit quartier tranquille de Terrebonne, que partout au Québec, on empoisonne des populations à ciel ouvert, sous l’œil complice d’un gouvernement obsédé par les profits.
J’étais désillusionnée à 15 ans. Trente ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Et je crains le monde que je laisserai à mes enfants. Cette rage coincée dans ma gorge… Guhn Twei réussit à la hurler pour moi.
Pour lire un article précédent mentionnant Guhn Twei : Le Bad Crew – Webzine de Punk
Rédaction : Claudia Bo
Correction : Val Girard
Révision : Marie-Eve Landry