Home Scène Canadienne Haute-Fidélité : revisiter Insomniac avec Oktoplut 

Haute-Fidélité : revisiter Insomniac avec Oktoplut 

Publié le 02 Oct 2025 par
Le duo célèbre le 30e anniversaire de l’essentiel, mais malaimé album de Green Day avec un réenregistrement – en français – et une tournée thématique. 

Pour Oktoplut, toute idée est une opportunité. Laurence et Mathieu ont cette réputation depuis longtemps : leurs projets musicaux proviennent souvent des zones les plus saugrenues de leur cerveau. Avec les deux larrons, c’est souvent lancé sur le ton d’une blague… mais une fois le défi lancé, impossible pour eux de le traiter à la légère. Ils s’y engagent à fond et poussent chaque projet jusqu’au bout. Pas de demi-mesure avec Oktoplut

Insomniaque, leur réenregistrement de l’album de Green Day de 1995 entre dans cette liste de délires transformés en projet porteur, qui attire l’attention sur Oktoplut et sur son éthique de travail.

On l’a vu avec La Sorcière de roche (2016), pièce-fleuve de 16 minutes composée pour accompagner sur vinyle un autre morceau long, Sous le pont, on l’a vu avec l’octobasse de l’OSM qui apparaît sur Le Delta de l’Okavango (2021), mais aussi avec l’improbable concert au Planétarium (2021), ou encore avec leur split EP avec Fuck Toute (2023). Autant de parenthèses créatives, des projets « in between » qui témoignent du goût pour l’expérimentation d’un groupe incapable de faire du surplace.
Mais pour le projet Insomniaque, les gars ont planifié leur coup plus à l’avance qu’à leur habitude. D’ailleurs, même si l’album ne sort que le 10 octobre, les trois premières parties de l’album sont déjà disponibles sur les compilation Zoo de Slam Disque, avec la première partie sortie en 2022. Déjà, les gars avec 2025, l’année du 30e du successeur de Dookie dans le collimateur. Parce qu’Insomniac, c’est un disque différent avec lequel les gars entretiennent une relation particulière.

Un album fondateur

Mathieu et Laurence, tous deux dans la jeune quarantaine, ont évidemment été exposés à Green Day via les hits de Dookie. When I Come Around et Basket Case :  impossible pour un kid au deuxième cycle du primaire en 1994 de ne pas les avoir entendus jusqu’à les connaître par cœur. Mais c’est l’énergie plus sombre, compacte et urgente d’Insomniac qui a rallié les gars d’Oktoplut.

« C’est un album qui s’écoute d’un bout à l’autre, sans effort. Tout est concis, cohérent. Il y a zéro remplissage », raconte Mathieu. « Je le trouvais plus punk, plus cru que Dookie. Pour moi, c’est un album qui a vieilli à merveille. »

Laurence renchérit : « Je peux pointer mes débuts de musicien directement à cet album-là. À 12-13 ans, c’est lui qui m’a donné envie de jouer. Aujourd’hui encore, je le trouve incroyable. » 

Pour le duo, Insomniac est à la fois un album de jeunesse et un disque qui garde toute sa pertinence à l’âge adulte, « le dernier vrai album punk de Green Day », avancent-ils. Une prise que l’auteur de ces lignes n’argumentera certainement pas. 

Adapter un classique

Traduire Insomniac en français a été un casse-tête volontaire (ou auto-infligé, c’est selon). Plutôt qu’une traduction propre, mot à mot, comme il l’avait fait pour Rythmes mystiques (Zoo 4, 2019), Laurence a choisi d’épouser la phonétique des textes originaux. 

Et là, qu’on se comprenne bien… quand on dit «phonétique des textes originaux», c’est pour être précis, parce que, dans les faits, ce que Billie Joe Armstrong chante sur Insomniac est souvent incompréhensible tant les mots sont mâchés dans sa bouche dans une articulation molle. Mais qu’on se comprenne bien : ça donne tout un effet et c’est une prouesse autant incroyable que distinctive du chant de Billie Joe. 

Donc, pour conserver le flot des paroles et l’assonance des mots, Laurence a dû se prêter à tout un exercice d’idéation pour les paroles. « C’était comme un exercice de concentration extrême », explique Laurence.

Et le résultat est plus que réussi. Des paroles parfois absurdes, truffées de non-sens, mais qui collent au timbre et au rythme exacts des chansons de Green Day. Et alerte au divulgâcheur : c’est plus souvent qu’autrement hilarant. 

C’est ainsi que Geek Stink Breath devient Guy c’t’une bête, Brain Stew, Ben Saoul et Walking Contradiction devient Au hockey comme addiction, un hymne déglingué sur notre sport national dont le premier couplet se lit comme suit; 

Doux lancer de notre Saku 

Bécosse du chic Souray, week-end de rhum ho oué

Une bague à défaire, on le contrarie

Kordic vit et revit leur date où c'est

Attaque de son chef et lit l'art expressif

Mon Vanek fonce et est sot sans mon aide 

Mitaine ronde et daigne éteindre la game

Il matelasse bas les oreillers doubles

Et la basse dans tout ça?

Oktoplut est un duo guitare-batterie et, même si Mathieu ne s’est jamais fait prier pour bricoler des manières de contourner cette limitation instrumentale (normalement avec plus d’amplis et plus de pédales), pour reprendre Green Day, ça ne serait juste pas possible. 

Ça allait nécessiter de la bass. Pas comme dans un show du festival de Jazz avec un technicien de son de Juste pour Rire à la console. Mais on s’égare. 

«C’est la colonne vertébrale de l’album et Mike Dirnt est le véritable pilier du groupe à l’époque des sessions d’Insomniac. À la guitare seule, ça ne marchait pas. Donc, j’ai tout appris et rejoué moi-même», raconte Mathieu, qui a peut-être profité de l’exercice pour acheter davantage de gear encore… mais nos sources sont muettes là-dessus.

Encore ici, sur le plan instrumental, c’est plus que réussi. Tellement que les versions d’Oktoplut donnent du fil à retordre aux algorithmes de certaines plateformes de diffusion qui les prennent pour des re-uploads des pièces originales plutôt que pour des reprises, en français de surcroît. De la haute fidélité à l’ère numérique, bref. 

Une célébration plus qu’un manifeste

Oktoplut insiste : ce remake n’est pas une prise de position, encore moins une tentative d’inscrire Green Day dans leur univers sonore plus lourd et expérimental. C’est un hommage pur et simple.

« On vient de là. On ne veut pas bouder notre plaisir. C’est du pop punk bonbon et ça reste une racine essentielle pour plein de gens. »

Le public pourra en juger sur scène : Montréal, Québec, Trois-Rivières, Rimouski et Longueuil sont déjà au programme d’octobre, et d’autres dates pourraient suivre.

En show, vous prendrez des photos, parce qu’Oktoplut sera en formule trio, avec, évidemment, Laurence à la batterie et au chant, Mathieu à la basse et avec Hugo Belzile (Whiskey Trench, Blue Jacket Rebellion) à la guitare, un musicien très «1, 2, 3, 4 pis check-lé bin partir» comme l’analyserait sans doute François Pérusse.

Et on sera là à chanter très fort… tant que ça sonne un brin comme Billie Joe, pareil  comme quand on chantait fort devant la télé quand, en 1995, Walking Contradiction était Buzz Clip à Musique Plus.

Oktoplut

Insomniaque

Slam Disque

Disponible partout le 10 octobre.

Rédaction : Jean-Simon Fabien

Correction et révision : Claudia Bo