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Tête d’affiche du mois d’août : Carey

Publié le 01 Août 2025 par

Pour lire la tête d’affiche du mois précédent, c’est ici.

BC : Salut Carey et merci d’être notre tête d’affiche du mois d’août. Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer le nom du band, Carey? Ça réfère à quoi au juste?

Carey : Pour commencer, merci de nous donner cette belle visibilité. Le nom Carey vient de l’ancienne mine d’amiante Carey Canadian (ou « La Carey ») située à East Broughton. Elle a été active de 1958 à 1986.

BC : Vous êtes un band originaire de la région de l’Amiante en Chaudière-Appalaches (pour les néophytes, il s’agit du coin de Thetford Mines, anciennement Asbestos et les environs). Votre musique porte essentiellement sur la vie minière qui a caractérisé votre région. Pourquoi ce grand intérêt envers le contexte minier de votre région?

Carey :  En fait, l’ancienne ville d’Asbestos se trouve en Estrie. Malgré son lien évident avec la région de l’Amiante, cette dernière fait plus référence à ce que les gens appellent aujourd’hui la région de Thetford, près de la Beauce.

Visuellement, le passé minier est omniprésent dans les paysages de la région. C’est une histoire riche et tumultueuse qui a changé le cours de l’histoire du Québec. Presque tout le monde ici a de la famille qui a travaillé directement ou indirectement dans l’industrie minière de l’époque.

Le contexte de « mineur de père en fils » s’est terminé lorsque notre génération était encore très jeune et a créé une cassure. On sent encore les répercussions aujourd’hui. C’est l’histoire de nos parents, de nos grands-parents, des générations qui les ont précédés; c’est notre histoire.

Photo prise sur la page Facebook de Carey

BC : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi de fonder toute votre œuvre sur ce même thème?

Carey : Lorsqu’on a débuté le projet, je savais que je ne voulais pas des paroles/thèmes qui ressemblent à tout ce qui se fait traditionnellement dans le hardcore/punk. J’étais très influencé par des groupes qui ont des concepts assez poussés comme Cult Of Luna, Santa Sangre et Fall Of Efrafa. Particulièrement, le groupe Unholy de Syracuse qui avait un concept lié à la littérature d’horreur.

Pour ces raisons, l’idée de baser le concept sur l’histoire minière de notre région est venue assez naturellement. Nous avons tous grandi en étant témoins de la désinformation concernant notre région et son histoire. Ainsi, nous trouvions qu’il était important de réajuster le tir en proposant un contenu qui donnait une voix à ceux qui ont vécu l’industrie de l’amiante au premier plan.

C’est certain qu’un jour, on aura fait le tour du concept et de certaines expressions qui en découlent. À ce moment-là, il faudra peut-être penser à changer de filon!  

BC : Croyez-vous que votre musique a ce pouvoir, de changer les mentalités et faire bouger les choses?

Carey : Si nos paroles peuvent amener des réflexions sur certaines situations liées à l’industrie minière et aux conditions de travail, on aura peut-être bien allumé une petite flamme qui pourra éventuellement grandir.

Par exemple, faire réaliser que les redevances minières doivent être révisées. Ou attirer l’attention sur le fait qu’il est immoral qu’une compagnie étrangère vienne siphonner nos ressources naturelles, à nos frais, et qu’elle reparte après avoir empoché tous les profits, en laissant un écosystème cicatrisé de façon permanente.

Photo prise sur la page Facebook de Carey

BC : Est-ce que vous voyez votre projet comme une forme de mémoire collective ou plutôt comme une revendication sociale?

Carey : Je pense qu’à la base, c’était plus une façon artistique de conserver la mémoire collective régionale. Mais tout ça s’est vite transformé en « de grâce, tirez leçon de ce qui est arrivé dans notre région » sans qu’on en ait vraiment l’intention. Comme nous sommes tous issus de la classe ouvrière, il y a certainement des expériences personnelles qui font leur chemin pour se retrouver collées au concept qu’on développe avec le band.

Je crois qu’inconsciemment, on revendique d’une part le refus d’un dogme conservateur ou socialiste, que ce soit en critiquant à la fois le capitalisme et le syndicalisme dans une même chanson : Pierre-Elliot Trudeau, Maurice Duplessis et le PQ dans une autre.

Personne n’est à l’abri. Ni ceux qui ont profité de la fibre ni ceux qui l’ont bannie sous le couvert de la vertu aux profits de pays comme la Russie et le Brésil. Ils se foutent bien des conditions de travail des mineurs (ou des travailleurs qui utilisent l’amiante dans les pays acheteurs).

D’autre part, on essaie d’encourager une réflexion sur l’exploitation du chrysotile dans l’optique où, ce n’est pas la fibre elle-même qui est dangereuse, mais plutôt la façon dont elle a été exploitée/utilisée pour maximiser les profits au détriment de la sécurité des travailleurs. Tout ça, encore une fois, en envoyant les profits générés par nos ressources à l’étranger. Je m’écarte peut-être un peu de la question…

BC : Votre musique porte essentiellement sur les conditions de la classe ouvrière. Comment voyez-vous la place de cette classe dans un Québec de plus en plus fragmenté?

Carey : La classe ouvrière est de moins en moins présente. Tout comme la possibilité d’avoir un travail d’ouvrier et de pouvoir subvenir aux besoins d’une famille avec un seul salaire. C’était encore le cas dans les années 90. Maintenant, les ménages ont deux salaires, mais ils ont à peine les moyens de vivre confortablement.

On fait venir des travailleurs étrangers qu’on utilise pour faire des jobs qui ont été dévalorisées pendant des années. Puis, on se sert de leurs statuts précaires pour les exploiter, comme nos grands-parents se sont fait exploiter. On les utilise pour faire le peu de jobs ouvrières qui n’ont pas déjà été transférées dans des pays plus défavorisés.

J’ai l’impression que les différents paliers gouvernementaux prennent les problèmes dans leurs poches droites et les mettent dans leurs poches gauches. Ensuite, ils mettent en place des mesures ineffectives que personne ne demande. J’essaie de réfléchir à un exemple de mesure qui a été prise dans l’intérêt ou même avec l’appui de la population dans les dernières années, mais je n’en trouve pas.

Une chose est certaine, l’exploitation de la classe ouvrière est encore bien là. Et malheureusement, elle semble maintenant aussi inclure l’entité qui a été créée spécifiquement pour la défendre.

BC : Comment votre musique est-elle perçue au-delà de votre région, dans des endroits qui ne vivent pas la même réalité?

Carey : Je pense que dans presque chaque région, il y a une réalité qui fait que les gens peuvent facilement s’identifier à nos thèmes. Certains liens se font plus naturellement et mènent à des relations organiques, comme avec Copperfield ou Guhn Twei de Rouyn-Noranda qui ont aussi été développés autour de l’industrie minière. D’autres fois, les gens me parlent de situations similaires que leurs parents ont vécu dans d’autres industries (textile, construction, transport, etc.) de diverses régions du Québec ou d’ailleurs.

C’est arrivé à quelques reprises que les gens soient un peu craintifs à cause de la réputation de l’amiante qui nous suit partout. Mais ça ouvre le dialogue. C’est vraiment moins pire qu’à l’époque où on a commencé dans nos premiers bands. Juste le fait de provenir de la région de l’Amiante faisait reculer les gens de deux pieds!

De façon générale, je pense que toutes les régions peuvent voir des similitudes avec la nôtre et peuvent s’identifier avec les sujets dont on parle.

BC : King Beaver Phase One a été enregistrée en une seule prise dans une cabane située au bord d’une mine d’amiante abandonnée à East Broughton. Que cela représente-t-il pour vous? Quel était le but derrière cette approche artistique?

Carey : L’idée est venue durant la composition du EP. On a décidé de faire trois chansons qui se fondent ensemble. On s’est dit que cela pourrait être cool d’enregistrer live pour capturer l’ambiance le plus fidèlement possible. Nos amis de Grand Morne l’avaient fait quelques années auparavant avec un très bon résultat.

Des bands comme Unbroken ont réussi à capturer une vibe unique en faisant la même chose. J’ai donc pensé qu’on pourrait créer un produit qui sonne organique. Mais aussi, qui traduit bien l’atmosphère du groupe en enregistrant tous en même temps dans la même pièce en une seule take.

On a tout de suite pensé à notre chum Jacob (Mixbus Studio), avec qui on avait déjà collaboré à quelques reprises, pour enregistrer le EP. Il a rapidement offert de filmer la performance. On voulait trouver un endroit significatif qui sonnerait bien. Après s’être fait refuser notre première idée à cause de nos paroles, ma conjointe a proposé cet endroit. Comme on connait les personnes qui s’en occupent, le processus a été beaucoup plus simple et rapide!

Pendant le développement du projet, j’ai pensé à toutes les fois où j’ai eu le feeling qu’un album était trop liché, surproduit ou digital. Je me suis dit que si on arrivait à sortir quelque chose qui sonne naturel, mais professionnel, peut-être que cela pourrait donner le goût à d’autres bands de tenter l’expérience. De plus, c’est tellement plus le fun de jammer avec ses amis, plutôt que d’être enfermé dans un booth pendant des heures à essayer de faire tout parfaitement, et ce, malgré les quelques fausses notes!

BC : Souhaitez-vous ajouter quelque chose? Peut-être de nous parler de ce qui s’en vient pour Carey dans les prochaines semaines, prochains mois?

Carey : Au moment où l’entrevue sortira, on viendra tout juste de terminer une fin de semaine de shows avec Guhn Twei et Vaste. J’espère, que ça aura bien été. Pour ce qui s’en vient, on est en train de travailler sur quelques shows cet automne, dans l’Est canadien et ici. Je ne peux pas donner de détails encore. Suivez nos pages pour avoir plus d’informations en lien avec nos dates futures.

On travaille aussi sur un split avec un band de chums. Encore une fois, je ne peux pas donner trop de détails. Mais je peux dire qu’on aura une vieille et une nouvelle chanson.  Cette dernière sera un hommage aux « gobeuses », les femmes qui séparaient la fibre d’amiante de la roche (cobbing). Elles ont été des pionnières du travail ouvrier pour les femmes, ce qui était très rare, voire inexistant à cette époque. Merci beaucoup pour l’entrevue et pour tout ce que vous faites pour promouvoir la scène d’ici!

Rédaction : Claudia Bo et Carey

Correction : Lux Mundi

Révision : Marie-Eve Landry