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Comment la gentrification a tué la scène punk de Toronto

Publié le 20 Avr 2024 par

Le dernier article paru a attiré les foudres éditoriales contre lui, enfer et damnation ! Claudia m’a averti de parler davantage de la scène. Obéissant et docile, le présent article va parler de la scène. Bien que la gentrification soit de nature politique, que vous le voulez ou non, elle affecte notre scène de différentes façons : le coût de nos déplacements, la longueur des trajets, le coûts des spectacles, le coût de colocation des salles, les bars qui ferment, et d’autres facteurs engendrés par un effet domino. Aujourd’hui, voyons comment la gentrification a tué la scène punk de Toronto.

DE 2007 À 2017

Le déclin des bars et salles de spectacles des contre-cultures dites underground s’est fait sentir dès 2007, rapporte le Toronto Star. Certains notent que le début de cette phase est marqué par la fermeture de la salle Who’s Emma dans le quartier Kensington Market en 2000. Qui plus est, cette tendance a été précédée par l’augmentation abusive du coût des loyers résidentiels et commerciaux. Puis, la construction massive de condos a suivi. Certains immeubles à logements et bars ont simplement été détruits pour laisser place à ces tours à condos de luxe. Le manque de logements abordables ou sociaux a poussé les moins fortunés à quitter les différents quartiers de Toronto, s’ils n’y ont pas été simplement chassés. 

Federal cuts to social welfare investments are undoubtedly contributing to this crisis. Over the past twenty-five years, the Canadian population has grown by 30 percent but annual federal investments in affordable housing have dropped 43 percent.” 

Le manque d’investissement et la passivité de l’État a accéléré ce triste exode et, de facto, a permis à une gentrification agressive de s’installer confortablement. Ici comme ailleurs, c’est l’abandon et la négligence politique qui a créé cette crise, ne l’oubliez jamais! D’ailleurs, le FRAPRU se fait un devoir de nous le rappeler, et ce depuis 45 ans

Ainsi, l’exode vers la banlieue se poursuit et laisse place aux mieux nantis. Ces nouveaux résidents représentent maintenant une nouvelle clientèle. Une clientèle qui, vous l’aurez deviné, n’est pas tellement en adéquation avec les scènes punk, hardcore, métal et autres contre-cultures. Résultats : une pluie de plaintes de bruits et un changement de style au niveau des spectacles organisés se font sentir : nouvelle clientèle, nouveau genre. Les bourgeois n’en veulent pas de nos contre-cultures. 

Le public de la scène a déménagé. Les trajets allers-retours qui prenaient jadis quelques minutes, prennent maintenant quelques heures. Ce public, chassé de ses quartiers, était le cœur de la scène torontoise. Il se retrouve impuissant, devant une nouvelle réalité, loin de l’accès de ses passions. 

Les salariés des bars, inquiets de voir la scène se transformer, ont cogné à la porte d’élus municipaux pour demander de l’aide. La réponse des élus est sans appel : « While there will always be some “natural evolution” of venues closing ». Or, il n’y a rien de naturel ici. Mais la ville se veut rassurante et dit que la situation devrait se réguler. Ça, c’était en 2017. 

2019 À AUJOURD’HUI

En seulement six ans, plusieurs salles ont fermé : Siesta Nouveaux, S.H.I.B.G.Bs, Soybomb, D-Beatstro, Double Double Land, FAITH/VOID pour plusieurs raisons déjà nommées. En 2019, c’est la salle Coalition qui finit par fermer. La tendance des bars à fermer, celle du prix du bail à exploser – on note que certains locaux sont loués à une somme de 25 000 dollars par mois – ou tout simplement l’expulsion de leur local, les endroits où peuvent se produire les groupes se font de plus en plus rares. 

Les salles traditionnelles ne sont pas nécessairement réceptives à ces contre-cultures. Sinon, elles sont tout simplement inaccessibles en raison du prix de location. Les espaces dédiés permettent aussi de développer des projets, des festivals. Bref, c’est un terreau fertile pour faire vivre la scène. Sans ces lieux, la scène finit par s’éteindre.

Ces bars underground ne sont pas seulement une place pour se produire en spectacle. C’est un lieu de rencontre. Un lieu d’échange où la scène peut vivre en dehors des spectacles et surtout un endroit sûr pour les gens marginaux ou marginalisés.  Plusieurs salles all ages étaient aussi des lieux d’inclusion pour les migrants, les féministes, la communauté LGBTQ+, les antiracistes et les anarchistes qui ont vu leurs salles fermer. C’est un pan entier de la scène qui s’éteint. Parce que la scène punk et DIY c’est beaucoup plus que des spectacles. Parce que les contre-cultures sont d’abord et avant tout sociales. Continuons le combat des contre-cultures

Malheureusement, trouver son public devient tout aussi difficile, à la suite de l’exode. Les gens vivent de plus en plus loin de ces lieux où l’on peut se produire. La scène n’est plus en survie mais sur respirateur artificiel. La pandémie et la crise du logement galopant ont donné le coût de grâce. L’aide promise par la Ville n’est jamais venue. 

CONCLUSION

Sartre disait dans L’existentialisme est un humanisme : “la contemplation est un luxe, [qui] nous ramène à une philosophie bourgeoise.” C’est pourquoi il faut s’organiser et exercer le pouvoir et non l’observer. La survie de nos scènes en dépend et notre qualité de vie aussi. La pandémie a déjà fait fermer plusieurs bars. L’explosion du coût de la vie, la gentrification et le coût des baux autant commerciaux que résidentiels ne cessent de croître et mettent une pression indue sur les bars, mais aussi sur le public. 

L’inaction et la complaisance des élus nous ont prouvé qu’on a rien à attendre d’eux. Si l’état nous fait la guerre, faisons la guerre à l’état. Si un promoteur immobilier vient s’installer, vandalisons le bâtiment. C’est aussi ça, la lutte des classes. Pour ne pas que notre scène vienne à mourir, comme à Toronto, il faut impérativement s’organiser. Sans quoi, nous condamnons la scène et nous-mêmes, du même coup. Le mot de la fin revient à Desjardins, que j’ai gentiment trafiqué pour épouser les besoins de l’auteur.

Nous ne sommes pas seuls. Nous sommes, pour le moment, des grégaires dispersés. Si nous ne pouvons vous sourire davantage, c’est que nous espérons que le confort et la sécurité aient l’amabilité d’enlever leurs bottes dans nos faces. Aussi, visitez nos grands monuments et découvrez une église, un poste de police, un parlement, une banque. La seule lumière qu’elles produisent, c’est quand elles passent au feu. 

Rédaction : Charles Loco

Correction : Céline Montminy

Révision : Marie-Eve Landry