
Lettre à Lucien Francoeur
Publié le 18 Nov 2024 par Patrice Belley
Cher Lucien,
J’ai été estomaqué, sous le choc, lorsque j’ai aperçu la nouvelle de ton décès sur le mur Facebook de ton bon ami Joe Evil. Cette tragique annonce a fait émerger de nombreuses émotions parcourant mon être. Des souvenirs sont revenus à l’avant-plan dans ma tête, que ce soit via des images nettes ou des bouts de tes chansons.
Mon aventure avec toi a débuté grâce à un de mes mentors musicaux, mon ami Steeve, qui te salue également en passant. Il m’a fait découvrir toute l’étendue de ton œuvre sociale, que ce soit avec ton groupe Aut’Chose ou bien tes albums solos sous le nom de Lucien Francoeur, sans passer à côté de tes poèmes. Bien entendu, j’avais déjà entendu certains de tes hits par-ci par-là dans mon entourage et ma famille au fil des ans.
Honnêtement, j’avais quelques difficultés à bien saisir, comprendre la bibitte que tu étais ou que tu nous présentais. En 2004, le groupe Aut’Chose a été formé de nouveau, en y incluant de nouveaux jeunes membres : Joe Evil de GrimSkunk, Vincent Peak de Groovy Aardvark, Michel Away, ainsi que ton vieux chum Jacques Racine. Sans omettre le siège de guitariste occupé par Denis d’Amour de Voivod, ensuite Martin Dupuis de Groovy Aardvark et Alex Crow de 2007 jusqu’à aujourd’hui.

C’est à ce moment que tu as capté mon attention qui ne voulait plus se détourner de toi et ton « super groupe ». C’est la fusion de quatre groupes dont je suis fan, la crème québécoise. J’ai dévoré le nouvel album Chanson d’épouvante que vous avez enregistré et ensuite j’ai apprécié tout ton art à reculons en me tapant de nouveau ta discographie, sans détour. L’acquisition de ma table tournante a été aussi un point culminant dans l’évolution de ma maitrise de tes compositions complexes, subtiles, moralisatrices.



La scène musicale s’est fait « shaker » à maintes reprises par ta vision avant-gardiste. Lulu a pavé la voie du punk, du métal et a introduit le son post-punk au Québec. Tu étais un grand homme du peuple et ça transpire dans tes écrits. Comme tu le disais si justement : « je chante comme le monde parle ».
Hier, aujourd’hui et demain, pour les générations à venir, nous entendrons résonner ton discours comme un écho prisonnier d’un cercle vicieux. Il m’est arrivé plus d’une fois d’entendre le commentaire suivant : « Ça sonne comme Aut’Chose ce groupe-là ». L’incarnation d’une référence à laquelle les groupes ou les fans se comparent positivement.

Et oui, il y a eu ton succès Le Rap à Billy, mais c’est tellement peu représentatif de ton legs. Cette pièce est complètement à l’opposé de ton répertoire. Ton plus grand fait d’armes est ton album Cauchemar américain, appuyé par une superbe pochette. Du bonbon pour la population affamée, en manque d’une musique qui sort des cadres en place. Tu les as sortis de leur zone de confort. Tu as ajouté une dose de piquant dans leur vie monotone, provoqué un tremblement de terre sur le Plateau. Le remède est administré à l’aide de tes mots poignants, tes poèmes marginaux défiant les standards de l’industrie.
Heureusement, nos routes se sont croisées deux fois avant ton dernier Bye. C’était dans le cadre de shows avec ta nouvelle formation Aut’Chose 2.0, animée par un vent de jeunesse. Mon premier spectacle s’est déroulé dans la défunte salle du Sous-bois à Chicoutimi.

Mon meilleur souvenir demeure celui de mon deuxième face-à-face avec toi, qui est plus frais dans mon coco et plus marquant. Ça se passait à l’Anti à Québec et le soir venu de notre départ du Saguenay, la tempête infernale de l’hiver tombait sur le toit et le capot de mon char enseveli. Il y avait des routes fermées, dont un rang, où je devais passer prendre l’oncle de Steeve. Nous allions réaliser un de ses rêves, car il est fan de Lucien Francoeur sans avoir eu l’occasion de le voir live. Comme vous le savez, ce n’est pas une tempête de neige qui va retenir des gars du Saguenay d’aller à la rencontre d’une de leurs idoles.
La conduite n’a pas été de tout repos, mais nous sommes arrivés en un morceau là-bas. Le spectacle offert a surclassé mes nouvelles attentes, mes souhaits. J’ai ressenti un « quelque chose » de particulier, le freak de Montréal dégageait un aura alimenté par un charisme indéniable et grandiose. Il était en forme et crinqué à fond pour cette prestation. Après le show, nous sommes allés échanger quelques mots avec le poète qui demeureront gravés au plus profond de ma mémoire.

Le festival GAMIQ t’a rendu hommage en créant un trophée à ton effigie, à celle du pionnier de la musique indépendante : une statuette de Lucien Francoeur. Celui de 2024 aura lieu le 1er décembre et je suis convaincu que tu ne seras pas oublié et je m’avancerais même en affirmant que tu seras honoré.

Je vous invite à écouter le documentaire sur sa vie Francoeur : on achève bien les rockers, réalisé par sa fille Virginie Francoeur. Pour en apprendre davantage sur ce spécimen unique, lisez l’excellent bouquin L’évolution du Métal Québécois : No speed limit par Félix B. Desfossés. J’apprécie aussi le recueil Chants de l’Amérique inavouable, que je possède, renfermant dans ses pages tout ce que tu as endisqué.
De 1934 à 2024, monsieur Francoeur, vous avez eu une vie bien remplie composée de hauts et de bas. Des hauts trop hauts et des bas trop bas, les montagnes russes de ta vie. Va rejoindre tes chums Piggy et Gerry. Lucien laisse dans le deuil tous ses compatriotes de la scène musicale, sa famille ainsi que les étudiants l’ayant eu comme professeur de poésie au Cégep.
Pat
Rédacteur : Patrice Belley
Crédit-photo : Patrice Belley
Correction : Val Girard
Révision : Marie-Eve Landry